Digital : vers le growth hacking éthique ?

Par nature, le numérique n’est pas éthique, il repose plutôt sur le growth hacking. Et cela pose de nombreux problèmes dans la société d’aujourd’hui, notamment à cause de l’ampleur qu’il a prise. Clément Bastide et Emilien Nizon, spécialistes du sujet, expliquent que les entreprises devraient se tourner vers le growth hacking éthique.

Par nature, le numérique n’est pas éthique, il repose plutôt sur le growth hacking. Et cela pose de nombreux problèmes dans la société d’aujourd’hui, notamment à cause de l’ampleur qu’il a prise. Clément Bastide et Emilien Nizon, spécialistes du sujet, expliquent que les entreprises devraient se tourner vers le growth hacking éthique.

Au contraire de l’éthique, le digital a un processus très rapide, donnant naissance, en 2010, au « growth hacking ». C’est pour cette raison que l’éthique n‘a pas été une préoccupation importante du secteur du numérique dès ses débuts. 

Ethique et growth hacking : deux concepts antithétiques

L’éthique peut se définir comme une science de la morale qui s’appuie sur la régulation légale et morale (les mœurs). Alors qu’au départ, le numérique ne s’appuie pas sur des règles. Il ne commence à être encadré qu’en 2015 avec, notamment, la loi antitrust. De son côté, le growth hacking est un état d’esprit devant mener à un unique objectif : générer de la croissance à coût faible. Il a été conceptualisé par Sean Ellis, un entrepreneur digital. Il est souvent considéré comme non-éthique car « l’objectif de croissance est à atteindre coûte que coûte, peu importe les conséquences pour l’utilisateur », informe Clément Bastide, fondateur de l’agence Outrun et consultant en stratégie digitale et expérience utilisateur. C’est donc un concept qui fonctionne sur le court terme, tandis que l’éthique fonctionne sur le long terme

Growth hacking : la data avant tout

Pour engendrer de la croissance, « le growth hacker a tendance à être créatif et surtout “data-orienté”, explique Emilien Nizon, co-fondateur de chatbots et consultant pour accompagner les entreprises digitales dans la création et l’optimisation de leurs interfaces digitales en cherchant à générer des revenus en dépensant le moins d’argent possible. Il va intégrer la donnée dans tout son processus, que ce soit pour comprendre le comportement de ses utilisateurs, trouver ce qui pose problème sur son produit, ou même s’assurer que le retour sur investissement soit positif. » D’autre part, en plus de rendre la croissance plus accessible parce qu’il permet de n’avoir aucun coûts de distribution, coûts marginaux ou coûts de transaction à payer, le numérique permet aussi de tout faire pour avoir le monopole dans son secteur et garder ses clients à tous prix. C’est la « théorie de l’agrégation » imaginée par Ben Thompson. Un très bon article en anglais a été fait pour l’expliquer et en donner des exemples. Elle n’est pas non plus éthique mais il est important de la connaître pour bien cerner les problématiques du numérique. 

Ethique numérique : protéger l’utilisateur

Si elle ne cherche pas la croissance, l’éthique peut tout-à-fait mener à dégager un plus gros chiffre d’affaires. Et pour y arriver, le respect de l’utilisateur est la principale préoccupation. C’est le principe d’UX éthique. Il s’agit de concevoir une expérience utilisateur éthique qui respecte les données et la confidentialité des utilisateurs. Mais, pourquoi s’intéresse-t-on seulement maintenant à l’éthique ? « D’abord, il faut comprendre que le digital (à l’échelle nationale et internationale) a atteint une taille critique que personne n’aurait pu imaginer un jour », détaille Clément Bastide. Il suffit de voir combien de français ont un smartphone aujourd’hui : d’après Le Parisien, 75 % en 2018. La réglementation est en fait une réponse à cette taille du numérique. « Ensuite, les utilisateurs commencent à se rendre compte du lien entre le moral des jeunes et le temps qu’ils passent sur les réseaux sociaux, poursuit-il. Il y a une pression des utilisateurs puisque le nombre de suicides des jeunes causé par le cyber harcèlement a largement augmenté ces dernières années» Nombreux sont les témoignages de jeunes qui se sont suicidés pour cause de cyber harcèlement. Le Figaro rapporte que « 40 % des élèves disent avoir subi une agression en ligne ». Dans ce sens, les utilisateurs commencent à se demander où vont leurs données qui sont collectées lors de leur passage sur internet. Dernière raison que le spécialiste évoque, « les professionnels du numérique commencent eux aussi à faire pression pour rendre le numérique plus éthique. Par exemple avec le système du loot box dans les jeux vidéo qui pousse le joueur à acheter pour pouvoir continuer à jouer. C’est très contraignant pour l’utilisateur et l’industrie travaille donc à rendre son expérience moins addictive et moins pénalisante. », termine-t-il. 

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Mêler growth hacking et éthique numérique

Pour rendre le growth hacking plus éthique, Emilien Nizon a engagé une ingénieure de recherche doctorante en éthique. « Nous insistons sur la transparencel’accessibilité et l’autonomie des utilisateurs : aucune information personnelle n’est ainsi demandée aux utilisateurs de nos chatbots. Concrètement, un salarié peut poser sereinement une question telle que “Comment poser une démission ? ” sans que notre client, DRH, puisse savoir qui a posé cette question. » Selon lui, « ce qui compte c’est que l’éthique fasse partie des valeurs de son entreprise et que les actions suivent, notamment dans le développement de son interface utilisateur ». Concernant les solutions pour rendre le numérique plus éthique, Clément Bastide présente la pédagogie et la réglementation comme les plus impactantes. « L’ensemble de la population devrait être sensibilisée sur le sujet de la data pour l’amener à être prudente en surfant sur le net et à se poser la question de l’après sur la collecte des données. Aussi, l’industrie devrait d’elle-même réfléchir à son impact sur les utilisateurs. » Mais étant sceptique face à cette dernière mesure, Clément pense que « c’est le rôle des régulateurs de faire des lois pour rendre le numérique éthique. » Dans son travail par exemple, il a cette volonté de prévenir les clients des dangers du numérique. « Nous faisons attention à ne pas créer des systèmes qui mènent à l’addiction […] et nous sommes transparents avec les internautes en leur disant concrètement à quoi vont servir les données que nous avons collecté sur eux. » Pour être éthique, il faut donc « aller dans le sens de l’utilisateur » sans chercher la croissance.