Le 1er juillet 2021, le gouvernement et les acteurs de la production audiovisuelle devront se mettre d’accord pour une nouvelle répartition des fenêtres d’exploitation de la chronologie des médias. Devenue obsolète suite aux nouveaux modèles de consommation, notamment avec l’explosion des plateformes de SVOD (service vidéo à la demande), sa révision sera réglementée par le nouveau décret SMAD (Services de Médias Audiovisuels à la Demande). La chronologie des médias c’est la règlementation française qui définit dans un calendrier précis les délais de diffusion d’un film en fonction des supports. Elle prévoit un délai de 36 mois entre la diffusion des films sur grand écran et sur les plateformes de SVOD, de 22 à 24 mois pour la télévision gratuite, de 10 à 12 pour les chaînes payantes et de 4 mois pour les DVD/VOD. Concrètement, c’est la raison pour laquelle Dunkerque de Christopher Nolan sorti en juillet 2017 au cinéma n’était disponible sur Netflix qu’à partir de juillet 2020. Avec le nouveau décret, il n’aurait fallu attendre que 12 mois pour l’y voir.
Avec la pandémie de COVID-19, les français se sont rués vers les services de SVOD. 8,3 millions. C’est le nombre d’utilisateurs quotidiens de SVOD (service vidéo à la demande) en France en 2020. On en comptait 4,5 millions en 2019, d'après le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). Le problème, d’après Pascal Lechevallier, fondateur de l’agence de consulting en production What’s Hot Media, « c’est que la SVOD oblige à redistribuer les cartes entre les acteurs et a donc un impact considérable sur le marché ». C’est la raison de cette obsolescence de la chronologie des médias. D’autant plus que « le téléspectateur s’en moque. Tout ce qu’il veut c’est avoir accès aux œuvres cinématographiques tout de suite ». Le CSA a noté un pic à 6,5 millions d’utilisateurs quotidiens en avril 2020 (pendant le 1er confinement) contre un creux à 4,5 millions en septembre (assouplissement des restrictions). Par ailleurs, le public de ces plateformes s’est élargi. La part des utilisateurs de plus de 50 ans est passée de 17 % à 32 % entre le 1er semestre 2019 et le 2ème semestre 2020. Une découverte liée au « manque de programmes à la télévision et à la fermeture des cinémas pendant la pandémie », remarque Pascal Lechevallier. L’inscription à ce type de services s’explique aussi par une augmentation du temps libre à la maison et par une volonté de découvrir de nouveaux catalogues. « La SVOD propose des exclusivités et des nouveautés alors que la télévision gratuite propose souvent des programmes identiques ».
En plus de gagner des téléspectateurs, les plateformes de SVOD sont devenues une solution pour sortir les films malgré la fermeture des cinémas. Il aurait été « impossible de les geler pour des raisons économiques », admet Pascal Rogard, directeur général de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et intervenant IMM (MediaSchool). Le cinéma a alors dû s’adapter : « beaucoup de producteurs et réalisateurs ont fait du day and date », note Pascal Lechevallier. Une notion qu’il explique par le fait de « directement rendre ses films disponibles en SVOD sans passer par la salle de cinéma ». Et le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée) l’a exceptionnellement accepté. C’est le choix qu’a fait Matteo Garrone pour le film Pinocchio en France en le rendant directement disponible le 4 mai 2020 sur Prime Video. La règlementation stricte qui leur est imposée ne fait qu’encourager de telles pratiques, d’où la nécessité de créer une chronologie des médias raisonnable et acceptée de tous.
La solution trouvée pour y remédier : faire apparaître les plateformes devant la télévision en clair. Ainsi, le défenseur des droits et libertés des auteurs qui est au cœur des négociations, Pascal Rogard, détaille que le nouveau décret SMAD devrait « prévoir un délai de diffusion de 12 mois pour les plateformes de SVOD ».
Du côté de la profession, ce sont les financements qui bloquent. « Sans chronologie des médias, pas de financements », affirme Pascal Lechevallier. Elle est là pour encourager les acteurs de la production audiovisuelle à participer financièrement à la production cinématographique française. Comment est-elle financée ? Par le CNC grâce à une taxe additionnelle (10,72%) prélevée sur le prix du billet de cinéma, par les chaînes hertziennes (3,2%), les Sofica (3%), les aides régionales (1,7%) et les recettes en salle. En conséquence, ceux, comme Canal +, qui la financent beaucoup voient le temps précédant leur fenêtre d’exploitation réduit. A contrario, les autres services payants ne contribuent pas à la production française. Le groupe audiovisuel français est donc le premier soutien en contribuant à hauteur de 200 millions d’euros chaque année et peut diffuser des films entre 6 et 8 mois après leur sortie en salle.
Pour résoudre ces inégalités dans les financements, la nouvelle chronologie des médias devra obliger les plateformes à investir à hauteur de 20% pour la production audiovisuelle française, dont 4% pour le cinéma. Il est donc prévu que si une plateforme investit 20% de son chiffre d’affaires réalisé en France dans la production cinématographique et audiovisuelle, elle pourra diffuser des films à partir de 12 mois et si elle investit 25% de son chiffre d’affaires, elle pourra les diffuser avant un an. Pascal Rogard termine en affirmant que « ce qui fait le grand succès de la politique française est le fait de pouvoir imposer une obligation d’investissement indexée sur le chiffre d’affaires d’une entreprise dans le pays où elle l’a généré, même si elle n’est pas d’origine française. »